Léa Niang
Plume invitée - Léa est consultante en communication inclusive. Elle accompagne, forme et conseille les entreprises vers une meilleure prise en compte des diversités dans leur communication, à la fois en ligne et hors ligne. Féministe militante et passionnée des thématiques d'inclusivité, elle croit fermement que les entreprises ont à la fois le pouvoir et la responsabilité de contribuer à une société plus bienveillante et plus inclusive. Son credo : c'est à petite échelle que se font les grands changements
Langage épicène, langage non-genré, ou encore langage neutre : peu importe le nom qu’on lui donne, le langage inclusif sait faire parler de lui. Alors que certain·es le considèrent comme une atteinte à la langue et à la tradition, d'autres y voient un outil de lutte contre l'inégalité et une réponse aux besoins des communautés marginalisées.
Et en dépit des réfractaires, le langage inclusif continue de gagner du terrain, et plus seulement dans les sphères militantes dont il est issu : les Français·es commencent à se l’approprier dans la sphère privée, et les entreprises sont également de plus en plus nombreuses à l’utiliser, en interne comme en externe.
C’est vrai : l’usage d’un langage inclusif demande de se défaire de beaucoup de nos (vieux) réflexes, et la tâche peut être ardue. Il n’en reste pas moins un outil indispensable pour une meilleure représentation des genres et une plus grande équité, notamment en entreprise et en particulier dans les processus de recrutement.
Commençons par définir de quoi on parle : le langage inclusif est un ensemble de pratiques orthographiques, grammaticales et syntaxiques qui visent une représentation réelle de toutes les personnes, quel que soit leur genre.
Au-delà de la simple écriture inclusive - qui ne concerne que les écrits - il comprend donc également toutes les prises de paroles orales. En bref, s’il est important d’apprendre à rédiger des offres d’emploi inclusives, mener des entretiens d’embauches en employant des termes inclusifs l’est tout autant.
Concrètement, comment pratique-t-on le langage inclusif ? Même s’il ne s’agit pas d’une discipline officielle ni réglementée, on a tendance à s’accorder sur 3 grands principes :
1. Féminiser les noms de métiers, les titres, les grades et les fonctions
Ce principe est en grande majorité déjà adopté par les francophones, y compris par l’Académie Française, pourtant connue pour son opposition aux pratiques inclusives du langage. Il concerne les mots comme « directrice » ou « autrice », plutôt répandus aujourd’hui, ou les fonctions comme « Madame la Maire » ou « Madame la Présidente ».
La pratique semble certes évoluer plus lentement pour des termes comme « cheffe de projet » ou « entrepreneuse » - mais ils existent !
2. Ne pas utiliser le mot homme ou Homme pour désigner l’humanité
La population mondiale comptant pour environ 50% de femmes (ou de personnes assignées femmes à la naissance), l’utilisation d’un terme plus représentatif que le fameux Hommes avec une majuscule semble nécessaire. En France, il existe par exemple des pétitions pour renommer la « Déclaration universelle des droits de l’Homme » en « Déclaration universelle des droits humains ».
3. Expliciter le féminin lorsqu’on parle de groupes mixtes
Pour ce faire, il existe plusieurs outils :
Bonjour à tous et à toutes,
Mesdames et messieurs,
les collaborateurs et collaboratrices, etc.
la Direction, plutôt que les directeurs
les équipes, plutôt que les collaborateurs
les collègues
les salarié·es
les chef·fes de projet
des candidat·es motivé·es
Vous l’aurez compris, l’idée générale du langage inclusif est de se détacher de l’utilisation du masculin dit générique (ou masculin neutre) qui est utilisé en français pour décrire les groupes mixtes.
En d’autres termes, même si un groupe est composé de 99 femmes et d’1 seul homme, la fameuse règle du « masculin qui l’emporte sur le féminin », qu’on nous inculque depuis le CP, nous oblige à employer le pronom pluriel « ils » pour parler de ce groupe.
Mais le masculin neutre l’est-il vraiment ? Il semblerait que non.
Les études de psycholinguistique (Pascal Gygax, Le cerveau pense-t-il au masculin ?) démontrent de manière unanime que même dans le cas d'un masculin utilisé de manière générique, le cerveau humain l'associe avec un homme ou un garçon, car c’est l’interprétation la plus rapide à envisager.
Par conséquent, quand vous lisez en Une d’un journal que « des chercheurs découvrent un traitement révolutionnaire », votre cerveau associe cette information à un groupe d’hommes en blouses blanches, éprouvettes à la main, sans se demander si ce groupe de chercheurs comprend également des chercheuses. Résultat : les femmes (et les minorités de genre) se retrouvent invisibilisées, à la fois dans cette information spécifique, mais également dans l’imaginaire collectif.
Et c’est ici le début d’un cercle vicieux, car moins les femmes sont visibilisées dans certaines catégories socio-professionnelles, moins elles auront tendance à se projeter dans celles-ci, et moins elles y seront donc effectivement représentées.
Cette problématique d’invisibilisation se retrouve bien entendu dans le recrutement.
En effet, les recherches montrent que les femmes ont moins tendance à envoyer une candidature à une offre d'emploi lorsqu'elle est rédigée au masculin générique : elles ne se sentent pas suffisamment incluses par la terminologie, et ont donc du mal à se projeter dans le poste proposé. L’utilisation d’un langage non-inclusif a donc une conséquence directe sur la parité dans les équipes en entreprise.
Et au sein des jeunes générations, l’utilisation d’un langage inclusif ne convainc pas uniquement les femmes. Certaines études ont en effet montré que les jeunes ont plus de facilité à se projeter dans une profession lorsqu'on la leur décrit en faisant apparaître le masculin et le féminin : les filles ont plus de facilité à se projeter, et les garçons voient le métier comme étant plus accessible car pas uniquement réservé aux hommes.
En plus de l’utilisation d’un plus langage inclusif, à travers des pronoms et des accords qui se détachent du masculin neutre, les termes employés ont également une influence sur les taux de candidature : l’utilisation d’un champ lexical jugé trop masculin aura tendance à intimider davantage les candidates, qui s’interdiront de postuler. Nous revenons en détail sur ce point ci-dessous.
3 tips concrets pour des offres d’emploi plus inclusives
Après la théorie, passons à la pratique : comment rendre concrètement ses offres d’emploi plus inclusives ? Voici quelques conseils à appliquer dès maintenant.
Conseil n°1 : Expliciter le féminin
Au minimum, faites apparaître la forme féminine dans l’intitulé du métier - à la fois dans le titre de votre offre d’emploi, mais aussi dans la description du poste ou quand vous parlez des candidat·es.
Exemples :
Chef·fe de projet web
Ingénieur/e aéronautique
Graphiste (H/F/NB)
N’oubliez pas non plus la forme féminine lorsque vous parlez des équipes déjà existantes ! Votre nouvelle recrue rejoindra une équipe mixte, et/ou travaillera sous les ordres d’une femme ? Explicitez-le ! Il est plus facile pour les femmes de se projeter dans des équipes mixtes plutôt qu’exclusivement masculines.
Exemple : « Vous serez sous la supervision de notre Directrice Technique, au sein d’une équipe de 4 développeurs et développeuses »
Conseil n°2 : Dégenrer le champ lexical
Certains mots de la langue française sont perçus comme plutôt masculins ; plusieurs études montrent (notamment l’étude du Journal of Personality and Social Psychology, 2011) que ceux-ci ont tendance à effrayer les candidates, qui auront ainsi tendance à s’auto-censurer. Il s’agit par exemple de mots comme :
expert, leader,..
pression, force, objectifs,..
exigeant, compétitif, énergique,..
ninja, rockstar,..
Il ne s’agit bien sûr pas de niveler par le bas vos exigences pour le poste, mais plutôt de les reformuler d’une manière à ne pas exclure une partie de la population dont on sait qu’elle a déjà davantage de difficultés à se sentir légitime dans le monde du travail.
Quelques exemples de reformulations possibles :
expert → spécialiste
force de proposition → créativité
diriger → construire
énergique → bonne humeur
exigeant → attention au détail
Conseil n°3 : Éviter le jargon et les exigences trop pointues
À moins que vous ne recrutiez pour un poste ultra-technique, évitez le jargon : vous ouvrirez plus facilement la porte à des talents provenant d’horizons différents.
Les études montrent également que les femmes postulent moins aux offres d’emploi, parce qu’elles ont besoin de se sentir parfaitement compétentes pour le job, alors que les hommes sont plus souvent adeptes du « on verra bien » (étude Linkedin, 2019) : en moyenne, les femmes postulent si elles ont 80% des compétences requises, contre 50% chez les hommes.
Afin d’assurer une plus grande mixité dans vos équipes, il est donc conseillé d’éviter les listes de compétences à rallonge, pour ne garder que celles qui sont vraiment indispensables.
Conseil bonus : Mettez en avant vos engagements
Pour rendre une offre d’emploi inclusive, il ne s’agit pas seulement de langage ! Vos engagements en matière d’équité peuvent vous aider à attirer des talents plus diversifié·es :
eninclusif.fr, un dictionnaire inclusif participatif pour vous aider à utiliser l’écriture inclusive rapidement et simplement.
Pascal Gygax, Le Cerveau pense-t-il au masculin ? (livre)
Textio, un outil pour déceler les biais dans les offres d’emploi et les rendre plus inclusives (en anglais uniquement)
re·wor·l·ding, l’initiative d’Alicia Birr autour du langage inclusif
IncluZor·e, une convertisseuse de texte en langage inclusif (en développement)
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